Inacceptable charte des langues régionales

La polémique sur les langues régionales renaît à l’occasion d’un débat à l’Assemblée nationale. La Charte des langues régionales avait été signée en 1999, mais le Conseil constitutionnel l’avait jugée contraire à la Constitution. Elle ne fut donc pas ratifiée. Aujourd’hui les mêmes politiciens remettent le projet sur le plateau et entendent réviser notre constitution pour forcer l’adoption de la charte.

Paludière, François-Hippolyte LALAISSE, XIXe siècle.

Paludière, François-Hippolyte LALAISSE, XIXe siècle.

La signature d’une telle convention internationale ne présente aucun intérêt sur le plan du contenu puisque des dispositions mettant en valeur le patrimoine régional pourraient tout aussi bien être prises dans le droit français. L’intérêt premier est que cette charte disposant du statut de convention internationale sera, conformément aux principes de la hiérarchie des normes, supérieure aux lois nationales et aura donc un statut assez proche de celui de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle s’inscrit dès lors dans un mouvement de remise en cause de la souveraineté nationale et de l’Etat-nation par la superstructure technocratique européenne. Ainsi, le système de contrôle de l’application de la Charte repose sur des rapports établis par les Etats et examinés, non par les citoyens ou leurs représentants, mais par des « experts indépendants ».

Dans son contenu, la charte prévoit donc une série de rapprochements culturels entre régions linguistiques, débordant par la base le cadre de l’Etat-nation, et s’inscrit bien dans le projet de super-régions européennes. Elle pose comme objectif d’éliminer toute « restriction […] portant sur la pratique d’une langue régionale » et invente de toutes pièces comme justification, retour immonde du jusnaturalisme,  le « droit [imprescriptible] de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique. » Dans les faits, la Charte fait mine de se conformer à un droit en apparence démocratique et humain pour remettre en cause les principes républicains :

1. En matière d’unicité de l’éducation ou d’action éducative de l’Etat.

Il deviendrait possible « aux élèves dont les familles le souhaitent » d’obtenir des cours en langue régionale à l’école primaire, dans le secondaire ou à l’université. L’accès à l’enseignement des langues régionales deviendrait donc un droit, mais pas l’accès aux langues étrangères, au latin, au grec, aux humanités, à la philosophie, ou à toutes les autres matières bien plus utiles au développement personnel.

La charte s’ingère également dans les programmes d’histoire en demandant que soient instaurés des cours sur l’histoire et la culture de la région à laquelle correspond une langue particulière, et ce alors même que l’histoire de France, et en particulier de la Révolution, est largement délaissée dans les programmes.

De même, une minorité linguistique n’habitant pas sur le territoire traditionnel d’une langue régionale pourrait obtenir un enseignement de ou dans leur langue s’ils sont assez nombreux. C’est une grave rupture d’égalité entre les citoyens puisque les citoyens français originaires de pays étrangers n’auront pas les mêmes droits concernant la langue de leurs pays d’origine. On imagine le scandale si chaque « minorité » de Français, kurde, arménienne, israélite, etc. commençait à demander un enseignement dans ces langues. Pourquoi en irait-il autrement des langues régionales ?

Pourra-t-on encore s’opposer à des pratiques comme l’enseignement en langue régionale à l’école primaire ? En 2001 le Conseil d’Etat suspendait salutairement l’intégration des 32 écoles Diwan au service public contre l’avis des socialistes Jean-Yves le Drian et Jack Lang. En 2002, au nom de la loi posant pour règle que « la langue de l’enseignement est le français », il annulait les arrêtés et circulaires ministériels permettant l’enseignement bilingue dans les écoles. La signature de la charte, convention internationale, vise à faire sauter les verrous législatifs constitués par les principes républicains.

Poupées de Mme Gérard, Musée de la poupée, Paris.

Poupées de Mme Gérard, Musée de la poupée, Paris.

2. En matière juridique et administrative.

La charte donnerait droit, toujours selon une lecture minimaliste, à « la production de documents et de preuves dans les langues régionales ou minoritaires » dans les procédures civiles ou administratives. Il sera également possible de rédiger des actes juridiques dans la langue régionale minoritaire et les actes législatifs devront être traduits. On pourra même soumettre à l’administration des documents administratifs dans la langue régionale ou inversement recevoir de tels documents rédigés par l’administration. On imagine bien le bordel ! Et quel sentiment agréable pour le citoyen français quand il recevra son document en langue régionale, certes traduit, mais tout de même. On remet donc dangereusement en cause le principe selon lequel la langue de la République est le français.

Le texte demande également « la satisfaction, dans la mesure du possible, des demandes des agents publics connaissant une langue régionale ou minoritaire d’être affectés dans le territoire sur lequel cette langue est pratiquée. » Là encore, rupture d’égalité entre le fonctionnaire ne connaissant aucune langue régionale et celui qui en connaît une et pourra donc choisir sa région d’affectation.

Ainsi l’administration financée par la collectivité serait en devoir de traduire les documents administratifs rédigés ou reçus par elle. En revanche, au nom de la « liberté d’expression », il faudrait garantir la « libre circulation de l’information » pratiquée sous la forme d’une langue régionale. On estime ainsi que la minorité a droit d’avoir accès aux textes administratifs dans sa langue régionale, et ce quand bien même elle est supposée connaître la langue nationale, alors que l’immense majorité qui n’entend strictement rien aux langues régionales n’aurait pas droit, elle, à accéder au contenu traduit des publications en langue régionale ! On imagine l’état du débat démocratique dans un pays où chacun parle une langue différente, comme on le faisait sous la monarchie.

Considérant ce qu’impliquent tous ces dispositifs, il faut bien reconnaître qu’il faudrait des moyens colossaux pour permettre à toutes les administrations, aux médias publics, aux écoles, d’enseigner ou de produire dans ou sur les langues régionales, et le nombre de deniers que l’on dépenserait pour entretenir la tourbe de bureaucrates destinés au contrôle de la bonne application des principes de la charte. De tels moyens sont évidemment impensables dans le cadre de la politique austéritaire dont le Parti socialiste est devenu le principal promoteur.

Le PCF veut ratifier la charte des langues régionales.

Alors que nous aurions droit, compte tenu de tous les éléments présentés plus hauts, à un véritable débat et une critique poussée du texte, des personnes au PCF ont pondu un texte idiot intitulé : « Oui à la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. » Le texte dit oui, mais rappelle malgré tout, très timidement, que le Parti demandait naguère une révision avant de ratifier la charte. Alors oui ou non ?  Des arguments sont alignés à la suite mais peinent à convaincre. L’Europe de la « diversité linguistique » serait ainsi « contradictoire avec le traité de Lisbonne ». Ah bon ? Voilà une façon bien singulière de justifier a posteriori une position indéfendable, car dans les faits, on voit difficilement la contradiction.

On apprend également qu’il existerait un « indispensable combat pour le rayonnement dans le monde du français ». En même temps, on ne se satisferait pas de « l’hégémonie de l’anglo-américain. » Rayonnement, hégémonie, on ne voit pas bien la différence, et le fait de rappeler que le français est la « langue de la république » n’y change rien. Nos amis peuvent le répéter à l’envi, cela ne masque guère leur position qui semble coincée entre une sorte de chauvinisme franco-européen et un soutien à l’Europe des régions. Contradiction ? Probablement pas, car les arguments sur la protection de la langue française sont aussi bidons que les autres. On voit mal en effet en quoi l’apprentissage du breton ou d’une autre langue régionale « participe à la défense de la langue française ». On tente bien d’avancer un autre argument : l’apprentissage des langues régionales permet à chacun d’être un « acteur autonome et conscient de son destin ». Ainsi il faudrait faire revivre des langues (ou agrégats de différents patois) mortes ou presque pour devenir conscient de son destin et autonome, alors même que la connaissance de l’orthographe et de la grammaire françaises reste plus que lacunaire, même au niveau universitaire.

En fin de compte, le seul argument un tant soit peu conséquent, pas tout à fait exprimé mais on l’aura compris, c’est que le PCF agit « [Conformément] aux différents projets de loi sur les langues et les cultures de France [qu’il a] proposée (SIC) dès les années 80. » Autrement dit, il suit la routine sans se poser de questions. Mais n’est-il pas temps pour les communistes de s’interroger enfin, à nouveau, sur l’importance de la nation et de la souveraineté nationale  et de leur relation à la démocratie ? N’est-ce pas aussi le droit des habitants d’anciennes minorités régionales de choisir librement et démocratiquement, s’ils le souhaitent, la fusion complète dans la nation française plutôt que de voir resurgir des langues et des pratiques abandonnées depuis longtemps par l’immense majorité ?

 « Le socialisme a pour but, non seulement de mettre fin au morcellement de l’humanité en petits Etats et à tout particularisme des nations, non seulement de rapprocher les nations, mais aussi de réaliser leur fusion. »

Lénine

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